Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans le premier article de cette toute nouvelle section, j’ai nommé, la section « Manga » ! J’ai le grand honneur de l’inaugurer avec un manga qui n’est pas des moindres, Blue Flag.

Présentation du manga et de l'auteur
Blue Flag, ou encore Ao no Flag dans son titre original est un manga de 8 tomes, écrit et dessiné par KAITO. Ce dernier fut prépublié de 2017 à 2020 dans le Shonen Jump+. En France, nous pouvons retrouver ce manga aux éditions Kurokawa. La sortie du tome 5 est annoncée pour le 20 mai.
Blue Flag est la première « vraie » série complétée par KAITO. En effet, comme tout mangaka, il a commencé par des oneshots. A la suite de cela, ce dernier s’est tenté au Weekly Shonen Jump avec un manga de sport, Cross Manage. Cette expérience se solda toutefois par un échec vu que ce manga fut dé-sérialisé du WSJ.
Toujours rattaché au WSJ, KAITO obtint par la suite, en 2015, une nouvelle sérialisation, avec un second manga de sport nommé Buddy Strike. Ce dernier fut dé-sérialisé en à peine 3 mois, contrairement à son prédécesseur qui avait pu vaillamment tenir une longue année.
A la vue de ce parcours, on pourrait simplement penser que KAITO ne bénéficie pas de chance ou manque de talent. Mais pourtant, l’auteur nous revient, début 2017 avec un autre manga, cette fois ci, prépublié dans un autre magazine du Jump. Le manga dont il s’agit est bien entendu Blue Flag.
A la lecture de cette œuvre et de Cross Manage, il est facile de comprendre le problème auquel ce dernier faisait face. Il s’agissait nettement d’un problème de démographie cible. Le public du WSJ n’est pas réceptif aux types d’histoires que veut véhiculer KAITO. Ajouté à cela, le fait que son style d’écriture fut nettement bridé, le Jump+ apparaît à mes yeux de lecteur comme une panacée.
Toutes ces élucubrations nous mènent donc à ce fameux manga dont je tiens tant à vous parler. Avant de vous lancer dans une introduction à l’histoire, il m’est important de mentionner les thèmes que se veut traiter ce mangaka.
De ma lecture de ses deux titres majeurs, Blue Flag et Cross Manage, un point important se dégage. KAITO met un point d’honneur à mettre en relief des drames lycéens et se concentrer sur le sujet du « jugement ». Et de ce traitement du sujet ressort un autre message fondamental que KAITO cherche à partager, la poursuite de sa propre identité, de ses objectifs, en faisant fi des points de vue externes.
Son écriture s’axe grandement autour d’un texte méticuleux et long, touchant à tous les sujets, tout en gardant un caractère léger de par le peps des personnages.
De quoi parle donc Blue Flag ?
L’histoire de Blue Flag se centre sur les 4 personnages suivants : Taichi, Touma, Futaba et Masumi. Taichi, notre protagoniste est l’archétype du lycéen banal et complexé, auxquels pourraient se rapprocher plus facilement les lecteurs de cette tranche d’âge. Ami d’enfance de Touma, il est approché par Futaba qui aimerait que ce dernier l’aide à se rapprocher de Touma. D’abord, réticent, il finira par accepter et c’est alors que leur groupe d’amis se forma.
Cette histoire aux apparences de romances clichées et désuètes, introduit dans un premier temps les prémices d’un de ses thèmes principaux, avec Masumi, la meilleure amie de Futaba. Ce thème n’est d’autre que l’homosexualité et même la sexualité dans son ensemble. L’œuvre part alors d’une introduction typique pour devenir petit à petit bien plus que cela et approcher entre autre les thématiques suivantes : complexe d’infériorité, admiration, jugement de valeurs, sexualité, amour, amitié, compréhension.

Le style et la réalisation de l'oeuvre
L’introduction de l’histoire étant faite, je vais maintenant me porter sur les dessins et la mise en scène de l’œuvre.
Dans un premier temps, les dessins de l’auteur optent pour une simplicité notable. Le premier chapitre débute avec des dessins loin d’être grandioses mais qui sont notables par une excentricité du point de vue du character-design de personnages secondaires.
À défaut d’avoir un début graphique retentissant, l’œuvre décide donc de jouer sur ce caractère humoristique.
Par la suite, cette excentricité et simplicité change pour donner un rendu plus recherché. L’un des succès de KAITO sur ce côté est la légèreté des passages malgré certaines pages bien remplies et lourdes.

Bien que son art soit marqué et commute plusieurs fois entre, un style réaliste visant à émerveiller par la beauté pure des scènes, et un style comique doublé d’un caractère attachant, comme mentionné plus haut, la plus grande réussite dans la forme du manga est pour moi cette incroyable mise en scène.
Les émotions dans ce genre d’œuvre ont tendance à passer beaucoup par le character-acting ou encore le script. Cela vaut autant pour le média animé que pour les mangas. Certes, ces éléments ne sont pas manquants dans Blue Flag, mais ce qui se détache le plus du reste est clairement la mise en scène. Celle-ci se caractérise par la volonté de sous-entendre les événements plutôt que de les montrer directement. Et cela correspond parfaitement à l’histoire qui souhaite impliquer le lecteur et le laisser tirer ses propres conclusions sur son déroulement et le mental des personnages.
À titre d’exemple, je me contenterai de prendre un cas présent aux environs de la fin de l’œuvre. Durant une discussion importante entre deux personnages, sans dessins particulièrement grandioses techniquement, une forte tension est créée. Au même titre qu’un ancrage puissant ou des doubles-pages marquantes et emplies d’un choc profond, il suffit parfois de jouer sur un naturel exacerbé. En vue de montrer un personnage en désarroi, de simples plans rapprochés sur des parties précises de son corps, dans notre cas, les mains du personnage, nous plongent nous aussi en tant que lecteur dans la même situation que lui. Une orientation de la page mettant en avant le parti opposé est subtile et donne implicitement l’impression d’être submergé. Enfin, montrer habilement des larmes avec des gouttes d’eau tombant d’un robinet, par exemple. Ceci, pour finalement avoir pour scène finale un vêtement tâché.
Ce passage de l’œuvre est l’un de mes favoris et pourtant, il ne s’est contenté que de simples moyens usuels, d’une succession ingénieuse des cases et enfin, le plus important, un simple message à transmettre visuellement. Je trouve que KAITO arrive avec brio à user de ces méthodes pour envoyer plusieurs propos plutôt que se cantonner à quelque chose de moins laborieux.
J’en ai à présent terminé avec la forme de l’œuvre. Il ne reste donc que le pan narratif. Transmettre les messages d’un point de vue visuel est bien sûr important, mais, le faire par la prose l’est tout autant. J’ai déjà cité plus haut les sujets que Blue Flag se veut traiter.
Personnages et écriture de l'oeuvre
KAITO passe par un jeu intelligent des stéréotypes et clichés de la société. Pourquoi une romance mignonne comme on en voit partout n’irait-elle pas plus loin si elle le souhaitait ? Pourquoi se réjouirait-elle uniquement d’avoir effleuré un sujet sans s’y adresser en profondeur ? Qui a donc décidé qu’un manga du Jump et shonen, ne pourrait pas être une aventure sur des lycéens se découvrant et se victimes de diverses introspections ?
Personne n’en a décidé ainsi. Et pourtant, en tant que lecteur, nous partons de base avec des préjugés quant à la nature de l’œuvre et ce qu’elle deviendra. Blue Flag a ainsi décidé de jouer sur ce point au sens littéral de par sa propre nature de manga et au sens figuré de par ses choix scénaristiques.
Néanmoins, ceci n’est pas réalisé dans l’optique de créer des retournements de situation aléatoires et inexplicables. Tout est sous-entendu dès le début du manga sans pour autant qu’on pense qu’il aille aussi loin qu’il ne l’est finalement allé dans ses propos.
Les 4 personnages principaux ont beau avoir divers aspects dans leur personnalité, ils peuvent facilement être représentés de la façon suivante :
– Taichi, par le complexe d’infériorité. C’est l’élément le plus flagrant de l’histoire. Il a beau être le personnage principal, son empreinte est faible et il passe même au second plan y compris dans des situations le concernant. Ce dernier fait difficilement face à ses propres démons au fil de l’histoire, après avoir blessé son entourage. Il est écrit avec l’objectif de montrer les mœurs qu’en tant que personne, nous souhaitons cacher et garder pour nous. Malgré le fait qu’il se démarque comme une personne subissant les événements de l’histoire, il avance avec et fait preuve d’une remarquable faculté d’adaptation et volonté de comprendre les autres. KAITO réussit à tourner en dérision ce rôle qu’il lui avait attribué et aussi à mettre en relief efficacement son évolution, en le présentant finalement d’un point de vue externe, de sorte à montrer qu’il est lui aussi le centre d’attention d’autrui.
– Touma, le futur. Le terme « futur » est vaste et n’a pas l’air de définir grand-chose dit comme ça. Pour faire clair, du début jusqu’à la toute fin de l’histoire, Touma est face à une question importante, « Que veux-t-il devenir et faire plus tard ? ». Cela pourrait être répondu par un simple métier ou un objectif à long terme. Mais c’est ici quelque chose d’évasif. La vision du personnage sur ce point est le fait de pouvoir vivre librement et pouvoir aimer qui il le souhaite sans préjudice. Dès le début de l’œuvre, son amour non réciproque est insinué. Pris au piège par ses sentiments et le passé, il s’évertue malgré tout de se rapprocher de son but, de par son comportement léger et enthousiasmant qui ne laisse pas entrevoir ce qu’il vit et subit. Même lorsqu’il doit finalement faire face aux opinions extérieures, il reste fidèle à lui-même en se tournant vers l’avenir.
– Futaba, l’admiration. Non pas dans le sens où elle inspire et représente l’admiration mais plutôt dans le sens où elle est admirative et en prend conscience. Ce sentiment, pourtant proche de la jalousie en est pourtant considérablement éloigné. Futaba évoque l’envie et l’intention d’avancer et d’essayer de changer en se rapprochant de son idéal. Le tout, en ayant conscience de ses défauts qui font qu’elle ne s’apprécie pas. D’un point de vue scénaristique, sa personnalité niaise a permis d’aller dans des interrogations poussées. De cette admiration est née divers échanges ayant permis, pas nécessairement un changement d’opinion mais une vision différente sur soi-même. L’histoire use ainsi d’elle pour essayer de prouver que les choses les plus anodines et qui font honte peuvent être le souhait d’autres personnes.
Pour expliciter mes propos, je voudrais mentionner un passage du manga dans lequel une discussion censée être une dispute a finalement pu devenir quelque chose de candide en un concours de compliments.

– Masumi, le jugement de valeurs. Elle est froide et réservée. De sa nature a découlé un jugement rapide des autres, sans porter réel intérêt à leur personne et essayer de les comprendre. Cet aspect principal de Masumi n’est pas là pour lui donner une image péjorative mais pour mettre en évidence le fait qu’elle porte une attention particulière au fait d’être jugée et critiquée. Elle part du principe qu’il lui est difficile voire impossible d’être comprise et décide donc de se recroqueviller sur elle-même, par peur de ce sentiment d’être à nu.
Ces points sont accentués par un autre personnage. Pour faire simple, il s’agissait d’un stéréotype basique qui fut jugé par Masumi comme tel (et par les lecteurs aussi) mais qui apparut être bien plus que ça et souleva plusieurs questions quant au fait de mettre dans des cases les personnes sans essayer de les comprendre ou observer leurs individualités.
Ainsi, KAITO choisit de développer le terme du jugement en passant par un personnage qui malgré sa force de caractère est en proie à diverses questions sur elle-même et à la peur que ce sentiment soit affiché. Au vue de cette obsession sur ce point envers sa propre personne, il apparaît donc évident qu’elle en fasse de même pour les autres.
En vue de mettre ces caractéristiques des 4 protagonistes en évidence, une chose se fait remarquer dans l’écriture. Le texte est finement bien écrit et donne lieu à des interactions dynamiques, concrètes et élaborées. Rien n’est blanc ou noir, tout est nuancé, même ce qu’on penserait comme mauvais de notre point de vue. Le texte s’efforce de montrer que tout n’est au final qu’un angle de vue et que par la discussion, l’on peut étendre ses horizons et se comprendre mutuellement.
Un des chapitres de l’œuvre fait montre d’une quantité exceptionnelle de texte et réussit à être un débat captivant, logique et dans lequel aucun parti n’est pris en vue de garder un angle objectif sur la situation. C’est l’un de mes chapitres favoris. Il m’a subjugué en faisant de ce qui n’aurait dû être qu’un méli-mélo ou un lynchage verbal d’un seul côté, un échange réaliste dans lequel les deux partis ont leurs raisons qui tiennent la route.
Mot de fin
Pour finir, Blue Flag est un de mes coups de cœur de 2018 et ose traiter ouvertement de thèmes qui ne sont que beaucoup trop mis au second plan. Parmi tous les mangas existant traitant de cette période sombre qu’est la puberté, Blue Flag tente de passer cette question au niveau supérieur en abordant l’identité et ce, sans se censurer. L’œuvre encourage à faire des choix dont on pourrait être fier plus tard. Si mon long avis a pu un tant soit peu vous rendre curieux à propos de l’histoire, je ne peux que vous encourager à lire le manga.
Le manga est publié en français aux éditions Kurokawa. Les 3 premiers et derniers chapitres sont eux aussi disponibles légalement en anglais sur la plateforme Manga+ by Shueisha.
